Texte de Christiane Laforge
Lu à la présentation de Pierre Dumont
au Gala de l’Ordre du Bleuet, le 3 juin 2017
Pierre Dumont a été aux arts ce que le bois est au feu. Il a nourri de lui-même le savoir et la créativité, pour que les esprits s’enflamment et diffusent à leur tour la chaleur bienfaisante qui rassemble. Feu de forge où se débattent les idées les plus audacieuses, forgeant le fer de lance d’une société artistique dont le dynamisme éclate sur plusieurs continents. Pierre Dumont transcende la quête du langage sous toutes ses formes, l’insoumission au dogmatisme académique, la liberté créatrice.
À l’occasion d’une grande exposition rétrospective, présentée au Centre national d’exposition de Jonquière en 2016, sa compagne de vie, Odette Bergeron, synthétisait — si seulement cela est possible — la marche de cet artiste, disant : « On peut affirmer que Pierre a développé au cours de ses années de création une méthode de travail fondée sur l’absence de méthode précise. Entouré de ses matériaux, il poussait son imagination comme la Pierre de Sisyphe vers l’accomplissement. Il aimait associer les choses hétéroclites pour créer l’inattendu (l’oxymore), cela dans l’obstination. Puis de là, la pensée lui venait. »
Né à Kénogami le 14 novembre 1951, Pierre a des racines bien incrustées dans l’univers des arts. Son grand-père maternel, Pitre-Élie Tremblay, transforme sa cour en zoo de bois récupérés pour leur forme animale. Son père, André, machiniste et contremaître est un bricoleur et collectionneur de fossiles. Sa mère, Valette, commissaire d’école, couturière et aquarelliste l’inscrit très jeune au cours de peinture donnés dans le sous-sol légendaire de Pierrette Gaudreault qui sera la fondatrice de l’Institut des arts au Saguenay. Il compose ses premières chansons sur sa guitare vers l’âge de12 ans, il fait partie d’un quatuor de musique à 13 ans et prend conscience de sa vocation artistique parmi les scouts musiciens. Il initie ses frères Robert et Mario et sa sœur Linda aux arts. Évoquant le passé, Robert raconte : « Il nous a donné le goût de créer, de faire et de défaire. Il nous a permis de participer à ses rêves, nous a donné le goût d'en avoir aussi. »
Enfant, il détestait l’école. Adolescent, il rêvait de quitter à jamais Jonquière, fantasmant sur New York. En 1974, il termine avec succès son baccalauréat en sculpture à l’Université Laval et, l’année suivante, se retrouve au Cégep de Jonquière pour y enseigner les arts plastiques. Heureux élèves! Pierre Dumont est un explorateur né, fuyant les chemins tracés sinon pour aller encore plus loin et découvrir l’inattendu qui le mettra au défi. Entendre le silence des pierres, extraire de la forme première une vision cachée, oser un son méconnu pour trouver de nouvelles harmonies. Tout cela anime l’artiste qui enseigne avec le sentiment qu’il apprend de ses élèves.
« J'aime le milieu de l'enseignement. J'aime le travail d'atelier et les jeunes me passionnent. Avec eux, je ne ressens pas l'angoisse du tableau blanc. Ils nous obligent à l'authenticité. Ils nous font voir que l'on connaît le langage, mais pas le sens du langage », m’a-t-il un jour confié.
Le collège et son atelier du Lac-Kénogami sont lieux de communication et de création. Mais la fougue de Pierre Dumont explose autour de lui. En 1975, avec Jean-Pierre Bouchard, il fonde le CEMMA, Centre d’expérimentation musique de la Maison de l’Arche qui deviendra, pour l’une La Galerie de l’Arche et pour l’autre le Centre d’expérimentation musicale, auquel se joindront Claude Fradette et Alain-Arthur Painchaud. Une quarantaine d’artistes fréquentaient la galerie de l’Arche, les uns se produisant sur scène, les autres exposant aux cimaises des deux étages. Il y avait un café, un ciné-club et les poètes se succédaient sur la scène. Quant au CEM, il est à l’origine du Festival des musiques de création du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui ne cesse de s’internationaliser depuis 1989. Pierre en a assumé la direction artistique jusqu’en 2009.
En 1997, avec Claude Lamarche, Gérald Savard, Carol Dallaire et Daniel Dutil, il crée Médium Marge dans le but de diffuser leurs œuvres, ainsi que celles des jeunes de la relève.
Plusieurs fois boursiers du Conseil des arts et lettres du Québec, outre plusieurs expositions collectives et évènements, il a tenu près d’une vingtaine d’expositions individuelles au Saguenay comme à Montréal, dont les plus célèbres ont été La vie silencieuse des pierres, Les porteuses d’Ô, Le travail des bêtes, Le répertoire d’Icare. Il y a aussi Les outils de Dédale que décrit Yvon Paré en ces termes : « Des constructions où l'équilibre se fait essentiel. Un échange entre la verticalité et l'horizontalité, les surfaces et la profondeur suggérées par des matériaux ou un travail à l'huile. Comme si Pierre Dumont ouvrait des fenêtres pour nous pousser dans des imaginaires où tout peut survenir. Parce que s'attarder devant une pièce de Dumont, c'est se livrer à un conteur particulièrement volubile. Il sait faire parler la matière, la transformer, en révéler la poésie dans un chant original. » Sa dernière sculpture, Table d’Ô, fut inaugurée au parc Jean-Allard de Jonquière après sa mort, survenue le 23 mai 2011. À deux jours près, le mois précédent, il lançait son livre Le son des choses, relatant sa démarche d’artiste.
Membre actif et administrateur du Café-Théâtre Côté-Cour ainsi que de la Maison d'animation sociale et culturelle de Jonquière pendant un temps, Pierre Dumont a participé aux tables disciplinaires du Conseil régional de la culture, à l'élaboration de la politique du développement culturel de la ville de Jonquière et à la mise en place du Conseil des arts de la ville de Saguenay. Un engagement et une contribution artistique qu’ont honorés Le Conseil des arts et lettres du Québec en lui remettant le Prix de la création artistique pour la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean en 2010 ainsi que le Conseil régional de la Culture avec le Prix Contribution 2012.
Le nombre de performances musicales et évènements multidisciplinaires auxquels il a participé témoignent de sa polyvalence et de son talent, sans oublier ses créations musicales et ses bandes sonores pour la danse, le théâtre et le cinéma. Il aime les instruments ethniques et travaille pendant 7 ans avec Ganesh Annandan, musicien indien. Plus attiré par Ray Charles, le gospel, Ravi Shankar ou Léo Ferré que le rock américain, il fabrique ses propres instruments.
Artiste doué, raffiné, il a extrait de la matière les plus subtils langages et transmis aux sons les vibrations qui l'animaient. Pour de nombreuses œuvres, il utilisait les rebus naturels, voulant donner une troisième vie aux objets morts. Leur conférant, en quelque sorte leur immortalité. Conjurer la finalité, survivre à la mort.
Ce soir, à l’égard de ce géant, c’est bien cela que nous voulons réussir.
Le 3 juin 2017
PIERRE DUMONT
Artiste multidisciplinaire, cofondateur du Centre d’expérimentation musicale, rassembleur et grand transmetteur du savoir artistique
fut reçu Membre de l’Ordre du Bleuet
à titre posthume